Un des artisans du succés de FEDERER

Roger FEDERER a été élu, il y a quelques jours, "Champions des champions 2007" par le journal L'Equipe.
Au delà de ces années de maîtrise sur le circuit ATP, je vous invite à découvrir un atout précieux pour Roger en la personne de Pierre PAGANINI, son préparateur physique, à travers un vieil article que j'ai retrouvé.

«Dans le tennis, le physique doit être au service du jeu», samedi 11 novembre 2006,

Roger Federer n'est pas qu'un talent pur. Le jeu du numéro 1 mondial, qui va tenter à 25 ans de décrocher avec le Masters Cup de Shanghai qui débute dimanche son douzième titre (sur 17 tournois joués en 2006), est aussi porté par un physique exceptionnel. Cette force, Federer la doit en grande partie à sa collaboration de longue date avec son préparateur physique Pierre Paganini, ancien décathlonien suisse de niveau national, homme discret à l'excès, mais reconnu comme essentiel dans la réussite du joueur suisse. Federer et Paganini se sont croisés pour la première fois en 1995, quand le jeune joueur de 14 ans est entré au sport-études dont Paganini était le responsable. Quand le Suisse a décidé de monter, à 20 ans, sa structure privée, il est allé chercher Paganini. Aujourd'hui, le préparateur physique partage son temps entre le numéro 1 mondial et une jeune étoile montante du tennis suisse, Stanislas Wawrinka, 21 ans. Il a accordé à Libération l'une de ses rares interviews.

Roger Federer, avec trois victoires en tournoi du Grand Chelem et une finale (Roland Garros) cette année est -il au sommet de sa forme?
Il y aujourd'hui une formidable harmonie entre l'homme qu'il est, le joueur, et l'athlète qui est au service de tout cela. Mais il est impossible de dire combien de temps cela va durer. Moi, je n'ai pas connu Federer perdre quatre fois d'affilés au premier tour, parce que cela ne lui est jamais arrivé. Comment réagirait-il ? Quelle influence son corps peut avoir sur son état mental, et vice-versa ?

Stanislas Wawrinka dont vous vous occupez affirme qu'il est programmé pour jouer son meilleur tennis à partir de 23 ans (il en a trois de moins) ? Avez vous raisonné comme cela pour Federer ?
Oui, quand il avait 20, ans, on s'est dit : pendant trois ans, on construit. Il avait un potentiel très intéressant. Il était très coordonné, véloce, avait et beaucoup de talent. Mais il fallait actualiser ce potentiel. Quand vous avez 16 ans, que vous êtes doué comme il l'était, vous voulez gagner des matches en jouant au tennis, pas en vous concentrant sur le physique. C'est logique que Federer n'ait pas tout de suite insisté sur cette dimension. Mais il a vite compris, que dans le puzzle qu'il devait mettre en place, il fallait aussi intégrer le côté athlétique. Il a décidé de se donner les moyens d'atteindre le maximum de son potentiel. Il ne donne pas facilement sa confiance. Mais il la donne ensuite totalement, pas par naïveté, mais par compréhension.

Ce rapport de confiance à l'entourage est-il une clé de la réussite?
Roger prouve que l'entourage est important, parce qu'il le respecte, mais il est aussi la parfaite illustration qu'il ne faut pas aller dans l'autre sens. C'est lui qui joue, pas l'entourage. Ma condition pour travailler avec un joueur, c'est qu'on mette carte sur table pour la planification des tournois. Je veux pouvoir donner mon avis, je souhaite qu'il me le demande avant de prendre sa décision. Mais c'est lui qui prend sa décision à la fin. Quand Roger a atteint la finale de Roland-Garros cette année et qu'il a voulu ensuite jouer le tournoi de Halle (sur gazon ndlr), je n'étais pas très chaud, mais quand j'ai vu avec quelle sécurité et quelle détermination il prenait sa décision, je lui ai dit OK. Il était à ce moment là en sur-régime, mais il a réussi quelque chose d'exceptionnel.

Federer a joué sans coach en 2004, comment l'avez vous vécu?
Cela n'a rien changé pour moi. Parce qu'il a toujours pris sa carrière en main. Au départ, quand il m'a dit qu'il voulait un peu de temps avant de prendre un autre coach, j'avais tendance à lui dire : presse toi un peu... Mais après, j'ai pigé qu'il utilisait bien ce temps-là, qu'il voulait se provoquer pour devenir meilleur. Il faut mesurer la pression qu'il a décidé d'endurer à ce moment-là, parce qu'il était très exposé par cette décision. Mais il a choisi de supporter cette pression et je me suis rendu compte qu'il était prêt à faire les efforts suffisants pour être à la hauteur. Alors, je suis devenu plus calme... Roger est toujours comme cela, même depuis qu'il travaille avec Tony Roche : il veut assumer ses responsabilités. Ce qui fait la force de Federer, c'est qu'il sait que parfois, les choses ne vont pas comme il le souhaite, mais cela ne l'effraie pas. Il le prend comme un challenge et cela devient un jeu. Et comme il est très relâché, c'est parfois fascinant de le voir traverser les difficultés. Une chose est étonnante, c'est le nombre de gens qui parlent des mauvais départs de Federer (lui même évoque très souvent les difficultés qu'il à à rentrer dans les tournois ndlr), mais il faudrait plutôt retourner les choses : c'est dans ces difficultés-là qu'il construit ses victoires. C'est passionnant de le voir essayer des choses dans ces moments-là. Je crois vraiment que c'est pour cela qu'il a plus de dispositions à atteindre peut-être quelque chose d'idéal : parce qu'il est prêt à faire le chemin. En fait, Federer est un champion du premier tour, le dernière fois qu'il a perdu au premier tour, c'était en 2004, à Cincinnati contre Hrbaty... C'est admirable et cela revèle sa qualité : accepter l'imprévu, s'y adapter.

Pour un préparateur physique, le calendrier, c'est l'ennemi?
C'est l'ennemi et le challenge. Ce n'est pas «normal» de jouer sur terre, puis immédiatement sur gazon. Pas normal non plus de jouer des Masters Series aussi rapprochés que peuvent l'être Rome et Hambourg. Comment est-ce possible de jouer ces finales-là en cinq sets avec un tournoi qui enchaîne derrière ? On ne peut pas jouer 80 ou 90 matches par an sans avoir été en surrégime à un moment donné. Que ce soit en match ou à l'entraînement. C'est vrai quel que soit le niveau du joueur : le souci de Federer, c'est qu'il gagne souvent, ce dont je suis ravi, mais cela rend très difficile de trouver les plages pour aller creuser dans le potentiel, des moments où l'on fait un travail qui laissera des traces mais ne permettra pas de jouer tout de suite.

L'ATP travaille précisément à une réforme du calendrier pour 2009. Qu'en attendez vous ?
Mon avis personnel, ce qu'il faudrait que le circuit s'arrête deux fois par an, quatre semaines en hiver, autant en été. Il existe une pause en hiver (entre la fin du Masters et la reprise, fin décembre), mais c'est trop court. Au niveau physique, il faut compter trois semaines non stop de travail approfondi dans un secteur (la vélocité par exemple) pour augmenter le potentiel, et pas seulement l'aiguiser ou le rétablir. On ne peut pas demander à un joueur d'être professionnel sans avoir un calendrier professionnel.

Federer a dans le viseur le record de victoires en grand chelem de Pete Sampras, cela dépendra de sa longévité, donc un peu de vous ?
C'est sa préoccupation. Il en parle beaucoup avec Tony Roche (son actuel entraîneur). Moi, à mon niveau, je dois essayer d'anticiper dans quel état sera le joueur à 28 ans, 30 ans, mais aussi faire en sorte qu'il soit dans sa meilleure forme aujourd'hui. Ma préoccupation, c'est d'abord d'éviter les blessures, d'anticiper les usures possibles. Je dois aussi m'attendre à ce qu'on ait besoin de récupérer davantage, plus longtemps, même si il aura encore emmagasiné une expérience lui permettant d'être encore plus intelligent dans son jeu, encore plus performant. Il faut s'imaginer les dix prochaines années tout en s'imaginant que c'est le dernier entraînement. Lui a ces deux côtés, depuis le début : il s'épanouit dans le présent, est capable d'une grande spontanéité tout en cherchant de plus en plus à anticiper les échéances.

L'infériorité de Federer contre Nadal sur terre battue s'explique-t-elle sur le plan physique?
Il n'est pas dans mes habitude de parler de tennis. Je laisse cela au technicien au au joueur. Mais pour moi, il n'est pas plus faible. Une des réponses, toutefois, c'est que vous avez d'un côté un Nadal qui axe toute sa saison sur le terre, même s'il est très performant sur les autres surfances, et de l'autre vous avez Vivaldi qui joue les quatre saisons. Forcément, au niveau foncier, vous prenez moins de temps pour préparer votre surface physiquement. C'est obligé. A la fin, il y a quelques matches en moins, quelques entraînements de moins, quelques repères en moins qui font la différence. C'est très peu. Roger est un phénomène sur terre, s'il n'y avait pas Nadal, il aurait tout gagné...La fluidité, tant vanté, de Federer est-elle un avantage sur le plan physique ?Un joueur très fluide va utiliser moins d'énergie, mais Federer est plus complexe dans ses déplacements, parce qu'il est créatif. Cela implique que le corps doit être capable de parler le maximum de langues sportives pour exprimer cette créativité.

En quoi le travail physique dans le tennis est-il spécifique ?
La base, c'est d'acquérir l'endurance de l'explosivité : être capable de servir à 200 km/h ou réussir une volée après trois heures de jeu, quand on est fatigué. C'est autant mental que physique. Mais ce qui est passionnant dans le tennis, c'est que le physique doit être au service du jeu, on ne cherche pas à faire des bêtes physiques ou des athlètes purs. Faire des pompes n'a jamais aidé à faire une volée. Quand on travaille la force, il faut faire le lien direct entre ce qu'on fait musculairement et les gestes du tennis. L'objectif est d'orienter le plus possible l'effort vers les exigences du jeu, même s'il n'est pas possible de structurer les choses autant qu'on peut le faire sur une piste d'athlétisme. Par exemple, le travail doit intégrer les dimensions du court, parce que les formes de jeu de jambes correspondent aussi aux distances, à la géométrie du court. Et il y a enfin le paramètre des surfaces : la notion d'explosivité, par exemple, s'exprime de manière différente sur dur ou sur terre. Sur terre, il y a la glissade, une contraction qui dure un peu plus longtemps avant le relâchement, et la prise d'appui. Sur une surface dure, c'est beaucoup plus court, net. Sur gazon, ce sont les reprises d'appui qui vont se faire davantage avec des petits pas, de la recherche d'équilibre. Chacun de ses aspects là doit être travaillé.

Où en est-on de la connaissance de la préparation physique dans le tennis, comment jugez vous les pratiques?
Le milieu du tennis est encore très en retard par rapport à d'autres sports. Certaines personnes font encore n'importe quoi. Même au très haut niveau, mais surtout dans le tennis féminin. En athlétisme, j'ai l'impression que tout le monde à une connaissance de la théorie de l'entraînement. Dans les tennis, la préparation physique est encore trop le fait de certaines personnes qui travaillent de manière empirique, parce qu'elles veulent cumuler les fonctions. Le type qui dit : «Je suis entraîneur de tennis, préparateur physique, mental et diététicien.»

Y a t-il des gens dont le travail vous a impressionné ?
Sans le connaître vraiment, je pense que celui qui a travaillé avec Pete Sampras a fait de l'excellent travail. J'ai le souvenir de la première finale de l'US Open que Sampras gagne : un match sans le moindre mouvement parasite.

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